par Yves Le Pape
La richesse du programme de la 11ème édition du festival lyonnais des Chants de Mars ne nous permet pas d'assister à l'ensemble des concerts proposés cette année. Il n'est donc pas été possible de parler ici de spectacles ou d'artistes très attachants qui auraient mérité une chronique tout autant que ceux qui ont été finalement retenus.
Première journée : ouverture avec Karimouche (et 140 enfants!)
En 2016 c'est Buridane qui avait lancé le festival lyonnais des Chants de Mars. En 2017 c'est la lyonnaise Karimouche qui a pris le relais à l'occasion de la 11ème édition de cet événement majeur de la saison culturelle à Lyon. Comme l'an passé, cette ouverture était programmée dans l'immense salle de l'Auditorium qui accueille habituellement des concerts de musique classique.
Les enfants, acteurs de la chanson
Ce spectacle d'ouverture a pris depuis l'an passé une forme toute particulière. En effet une chanteuse y est associée aux enfants de quelques écoles lyonnaises qui partagent ensemble le répertoire de l'artiste devant un public nombreux (près de 1 000 personnes cette année) composé bien sûr de beaucoup de parents et amis des enfants.
Cette soirée est le résultat de 3 mois de travail préparatoire conduit par des intervenants musicaux et les animateurs de plusieurs maisons des jeunes (MJC) lyonnaises qui sont également à l'origine du festival des Chants de Mars. Avec ce projet elles mettent en action la philosophie de l'éducation populaire qu'elles revendiquent courageusement aujourd'hui pour monter des projets dont les enfants deviennent des acteurs à part entière, au contact direct d'une artiste professionnelle.
Un répertoire sans concession
Karimouche a donc choisi elle-même quelques chansons de son répertoire sans éliminer tous les « gros mots » que les enfants se sont bien amusés à chanter alors qu'ils leur sont habituellement interdits.
Sur la scène de l'auditorium, les élèves ont entonné des choeurs et présenté des chorégraphies qui ont donné au chant de Karimouche une tonalité toute de fraîcheur et d'inventivité. L'artiste était également entourée du beatboxer Kosh et du pianiste Jean Pierre Caparossi, ses accompagnateurs habituels, mais également d'un trio à cordes de l'Orchestre National de Lyon.
Karimouche a choisi de chanter son très populaire P'tit kawa , puis Action, la chanson titre de son dernier album, la très belle « Tête dans le guidon », le tendre tango Des Mots démodés. Dans Parasites elle chante que « Depuis des semaines, voire des années, Avec ce ringard je suis cloisonné », pour conclure avec le très fort Ki c' ki M' sur un texte du toulousain Magyd Cherfi. Il s'agit donc bien d'un répertoire qui n'a rien d'enfantin. Il a donc fallu parfois expliquer le sens de ces textes et, si tous n'ont pas nécessairement compris le sens profond de tout ce qu'ils chantaient, ils ont su, par leur gestes et par leur voix, s'en faire de joyeux interprètes.
Le ton juste
De son côté, l'artiste a trouvé le ton juste pour s'accorder au mieux avec tout ses jeunes partenaires et, à l'évidence, chacun a pris un très grand plaisir à cette collaboration. Il en est résulté un beau spectacle plein d'émotions qui a certainement permis à 140 enfants et à des centaines de parents d'approcher de façon très sensible le si beau répertoire de Karimouche.
Le Festival se poursuit mardi avec, d'une part, une table-ronde organisée par l'artiste Hélène Grange sur la question de la relation entre interprètes et auteurs-compositeurs-interprètes et, d'autre part, la présentation du travail des artistes participant aux 24 heures du mot d'A Thou Bout d'Chant. Suivront ensuite les spectacles de Carmen Maria Vega, Rodolphe Burger, Mathieu Boogearts, Louis-Jean Cormier et de nombreux autres artistes aussi divers que talentueux.
Deuxième journée : Les interprètes sur la sellette et les 24 heures du mots
Dans l'après-midi de mardi, l'artiste lyonnaise Héléne Grange avait organisé à la salle des Rancy une table-ronde sur le thème « Les interprètes sur la sellette » avec la participation notamment de Michèle Bernard, Remo Gary et de Cécile Prévost-Thomas de la Sorbonne Nouvelle de Paris 3.
La question posée par Hélène visait à expliquer le changement de hiérarchie qui est intervenu depuis quelques décennies entre, d'une part, les interprètes de la chanson et, d'autre part, les auteurs-compositeurs-interprètes. Nous sommes loin en effet de la période des années 60 où les interprètes comme Cora Vaucaire, Marc Ogeret et Catherine Sauvage bénéficiaient d'une grande notoriété dans le réseau des cabarets de la Rive Gauche. Aujourd'hui, dans les salles où se chante « la chanson à textes », on écoute effectivement bien plus souvent des ACI que des interprètes.
Cette table-ronde n'a pas apporté de réponse précise à la question posée au départ. Elle a permis toutefois à réévaluer le métier d'interprète. Fort justement on a bien vu que l'interprète créait un spectacle et qu'il apportait ensuite toute sa personnalité à la transmission d'un patrimoine ou en révélant de nouveaux auteurs-compositeurs.
La réflexion devra se poursuivre pour analyser plus rigoureusement l'impact du statut d'intermittent sur les métiers de la chanson. Il faudra sans doute aussi réfléchir de façon plus approfondie sur la perception comparée de l'ACI et de l'interprète dans les différents publics de la chanson comme chez les programmateurs
Les 24 heures du mot d'A Thou Bout d'Chant
Comme l'an passé, l'équipe d'A Thou Bout d'Chant organisait mardi les 24 heures du mot. 24 artistes répartis en 8 équipes se voyaient proposer d'écrire en une journée une chanson sur un thème imposé, en l'occurence « Des futurs à choisir ». Chaque équipe recevait en plus une contrainte technique particulière à respecter, par exemple la contrainte dite « David Getta » qui impose que 2 accords seulement pouvaient être utilisés dans la composition. Les artistes devaient également choisir une reprise en toute liberté, Jean-Jacques Goldman et Céline Dion étant, pour l'occasion, le répertoire le plus sollicité par les équipes.
Le spectacle du Marché Gare
La présentation des résultats du travail s'est donc faite au Marché Gare, une salle co-organisatrice du festival. Une soirée très réussie qui démontre, s'il en était besoin, la vitalité et la diversité de la scène lyonnaise. Les futurs choisis par les artistes touchaient au politique tout comme à l'érotique. L'écriture pouvait être poétique ou totalement déjantée. Quant à la musique elle faisait appel à l'accordéon tout comme au violoncelle, évoquait le folk ou les sonorités orientales, misait sur l'acoustique ou sur l'électronique.
L'équipe d'A Thou Bout d'Chant avait de son côté préparé des liaison pleines d' humour pour permettre l'installation du matériel à chaque changement d'équipe. Artistes et organisateurs ont tous travaillé avec un grand professionnalisme et présenté au final un spectacle varié, joyeux, énergique, très chaleureusement applaudi et certainement à reproduire en 2018.
Troisième journée avec Mathieu Boogaerts et Leïla Huissoud
Les Chants de Mars se déplaçaient mercredi dans la métropole lyonnaise et se posait dans la belle salle de l'Epicerie Moderne de Feyzin pour un spectacle de Mathieu Boogaerts. Accompagné de Vincent Mougel, guitariste et multi-instrumentiste, l'artiste a d'emblée balisé son programme : une première partie est consacrée à Promeneur son 7ème album qu'il va présenter dans l'ordre même du CD. Il réserve donc pour une seconde partie ses plus anciens "tubes", comme il l'annonce avec modestie et dérision.
A l'inverse des accompagnements du studio, c'est donc Vincent Mougel qui l'accompagne sur scène. Et ce musicien apporte avec discrétion et efficacité sa touche personnelle qui donne au spectacle une tonalité assez différente de celle de l'album. A la tendresse fragile de l'interprétation de Boogaerts, il apporte ponctuellement quelques touches énergiques qui mobilise l'écoute et entraîne le public.
On peut alors se laisser embarquer dans cet univers si particulier de l'artiste. Il est sans doute le seul artiste à oser encore faire rimer coeur et bonheur, c'est à dire aller au plus loin dans la recherche de la simplicité de l'écriture, une simplicité qu'on retrouve aussi dans ses mélodies. Mais avec ces textes et cette musique, il sait créer un univers attachant dans le quel il réussit à entraîner son public dans un spectacle de longue durée.
En première partie la toute jeune Leïla Huissoud est venue présenter quelques extraits de son premier album accompagné de Kevin Fauchet à la guitare et aux claviers. On aura l'occasion de reparler longuement de Leïla dans le N°64 de Francofans à paraître le 30 mars. Elle confirme sur scène tout l'intérêt qu'on a pu trouver à son album. Ses textes sont ceux d'une grande artiste en devenir et la nouvelle chanson qu'elle a introduite sur la scène de l'Epicerie Moderne annonce un nouvel album en préparation dont on peut attendre le meilleur.
Quatrième journée avec Louis-Jean Cormier et Tom Bird
On avait quitté la veille Kevin Faucher accompagnateur discret et efficace de Leïla Hussoud sur la scène de l'Epicerie Moderne à Feyzin. On le retrouve jeudi soir sous le nom de Tom Bird à la salle Léo Ferré dans le Vieux Lyon en première partie de Louis-Jean Fournier.
Tom Bird accompagné aux claviers par Marie Daviet a confirmé les talents prometteurs qui lui ont permis de remporter en 2016 le tremplin d'A Thou Bout d'Chant. Il débute par « A distance égale » une chanson magnifique qu'il n'a pas encore prévu d'enregistrer. Il y a par moment du Brel chez Tom Bird. Il y a aussi de l'humour et le grand art de la mélodie qui persiste dans la mémoire avec le très sympathique « Roger ». Mais Tom Bird peut aussi slamer longuement ou se saisir de son pour devenir un brillant folk-singer à la façon de Bob Dylan. Son premier EP a été chroniqué dans Francofans. On attend avec impatience le premier album de ce jeune artiste au travail déjà si abouti.
Le québécois Louis-Jean Cormier était déjà passé par Lyon avec Karkwa, son groupe précédent. Il est cette fois en formule trio accompagné d'une contrebasse et d'une batterie. Le rockeur de Montréal présente avec une folle énergie des chansons de ses deux albums solo, multi-récompensés au Québec, Le treizième étage de 2012 et celui de 2015, Les grandes artères sans oublier quelques rappels de son passé avec Karkwa. La puissance de cette musique s'est en tout cas épanouie pleinement dans le cadre intimiste de la Maison des Jeunes du Vieux Lyon.