par Yves Le Pape
Le Festival Off d'Avignon a proposé comme chaque année une très riche programmation en chansons et spectacles musicaux. En voici donc quelques chroniques mises à jour épisodiquement au fil de ce mois de juillet 2017.
Le Festival d'Avignon est maintenant terminé. Mais il est encore temps d'évoquer le concert d'Hildebrandt, programmé dans le cadre des talents ADAMI On y chante.
Hildebrandt est un rockeur émouvant. Bien sûr il sait faire une musique dansante (J'ai plein de pas) et énergique (Les animals), et son premier album, Les animals, le prouve avec force. C'est d'ailleurs cet album qu'il a présenté sur la scène de l'Arrache-Cœur au Off d'Avignon. Il a bénéficié du regard extérieur d'Alexis HK pour mettre en place ce spectacle et il est bien accompagné par Pierre Rosset à la guitare et Nicolas Barbaud à la basse.
Il chante Tu dévoiles, et il se dévoile lui-même beaucoup pendant son set avignonnais. Il évoque longuement une relation complexe avec ce père qui s'est découvert allemand à une époque, au lendemain de la guerre, où les « boches » n'étaient pas aimés en France. Le père et le fils, un peu taiseux l'un comme l'autre, vont réussir à partager longtemps et à réaliser un projet de voyage lointain à l'extrême nord du Canada.
La question des origines, on la retrouve ensuite dans le couple qu'il forme avec sa femme originaire de Barcelone. C'est jamais loin Barcelone est une ballade où l'artiste chante « moi c'est l'Allemagne, toi c'est l'Espagne » avec une immense tendresse.
Emotion maximum également avec le « Garde bien tes larmes ailleurs » de Gracias chantée a capella dans le noir. Et, pour conclure ce beau rendez-vous, Hildebrandt offre un rappel à tirer les larmes, chanté a capella à nouveau, avec L'essentiel à t'apprendre, cette magnifique chanson de l'album qui m'évoque irrésistiblement le grand Julos Beaucarne. Ce texte, il l'a écrit pour sa toute jeune fille à qui il promet une visite, un jour, sur la tombe de Brassens à Sète. Une merveille. Et son hymne national s'appellera Les copains d'abord.... pourquoi pas !
Les prochaines dates des concerts d'Hildebrandt seront en ligne sur son site Web.
Il ne suffit pas de faire un très bel album pour en faire naître un beau spectacle. Nicolas Jules lui le réussit à merveille à l'Arrache-Cœur en Avignon dans le cadre de l'opération « Talents ADAMI ». Il est accompagné par son fidèle compagnon de scène Roland Bourbon à la batterie et, pour son set à Avignon, par Brice Preda et son très impressionnant tuba.
Nicolas est un vrai personnage. Il a tout ce qu'il faut d'humour et de sensibilité accompagnés d'une petite dose de provocation pour créer une ambiance tout à fait personnelle. Il a le contact direct avec le public si particulier du Off d'Avignon. Ce vendredi il y avait dans la salle les rédacteurs en chef d'Hexagone et de Francofans, mais aussi des musiciens comme Hildebrandt et Dimoné ou une fervente admiratrice senior originaire de l'Ardèche. Il n'hésite pas à monter sur les sièges de la salle pour aller proposer sa guitare à Dimoné et dédicace une chanson tout spécialement à l'humoriste Chraz, présent également dans l'assistance.
Pour son set à Avignon Nicolas a retenu 6 chansons de Créve-silence, son dernier album, dont une version du Faon où les chœurs sont assurés de façon très amusante par ses deux musiciens. Une des plus belles réussites de l'album est ce texte où il chante « l'impassible sourire de Joconde » de l'amante. Mais les chansons d'amour de Nicolas sont souvent déchirantes et L'eau noire en est ici le plus bel exemple.
Quelques extraits de ses deux précédents albums sont là pour nous rappeler que l'artiste s'est déjà construit un répertoire ambitieux qui suscite l'enthousiasme à Avignon. Il y a un parfum de Brassens dans Oint où « la nuit était douce comme la queue rousse du diable au sortir du bain » La magnifique Bétonneuse (extraite de l'album Shaker) est vraiment un des moments les plus forts de ce spectacle et, pour moi, un souvenir marquant de cet Avignon Off 2017.
La salle de l'Arrache Coeur est certes toute petite. Mais avec son rock qui peut devenir vertigineux, on imagine aisément l'artiste enflammer des salles immenses et de grandioses festivals. A sa façon et avec toute sa personnalité, il s'inscrit dans la continuité d'Higelin et des plus grands noms de la chanson. Ses concerts à Avignon annoncent certainement une grande tournée dont les premières dates sont en ligne sur son site Web.
Nicolas Jules chante à l'Arrache-Coeur jusqu'au 30 juillet à 13h à Avignon.
Les autres dates sont à découvrir sur son site
Garance accueille son public dans une petite salle bien fraîche à deux pas de la place Saint Didier, un des espaces les plus agréables d'Avignon dans ce festival tellement caniculaire. Seule sur scène, pieds nus, avec sa guitare acoustique comme seul accompagnement, elle propose un tour d'horizon de son répertoire avec 2 extraits de ses premiers albums et des chansons toutes fraîches qui permettent de sentir dans quelles directions elle s'oriente pour l'avenir.
On démarre sur le thème de la relation amoureuse (Clarika). C'est assez compliqué, Parfois douloureux. Mais c'est écrit avec précision dans un style très personnel avec une belle férocité (Zagreb). Garance cite ensuite Benoîte Groult, dans une sorte de petit manifeste féministe qui situe clairement l'engagement de l'artiste, confirmé dans Debout dans la cuisine, la chanson qui suit.
Le nom d'Anne Sylvestre revient plusieurs fois au cours du spectacle car Garance a pu travailler avec elle et elle lui emprunte même une savoureuse Maryvonne. On le sent bien, Garance s'inscrit clairement dans la lignée de son aînée avec tout ce que les jeunes générations peuvent apporter de neuf comme Dans les idées rock la chanson titre de son second album.
Dans toutes ces nouvelles chansons Garance conserve la même férocité mais les mélodies qu'elle a composées rendent le message plus doux à l'oreille, en tout cas dans la version acoustique proposée à Avignon. Mais elle peut aussi être d'une grande tendresse dans Dors, une adorable berceuse. On sent aussi qu'elle prend de plus en plus de la hauteur dans ses points de vue et de larges horizons s'ouvrent maintenant à elle. A l'évidence elle a trouvé sa voie et c'est certainement un superbe nouvel album qu'elle a déjà entre les mains. Elle dit tout cela merveilleusement dans Les montagnes, une de ses dernières créations :
« J'ai gagné en profondeur
Je danse avec légèreté
J'ai levé l'encre à mon coeur
Et j'ai les pieds bien ancrés »
Garance a déjà tout d'une grande. Elle est à Avignon jusqu'à à la fin du mois, Maison de la Parole. Et je souscrit pleinement au choix du magazine Causette qui recommande tout particulièrement ce spectacle du Off 2017.
Garance à la Maison de la parole, à 13 heures, jusqu'au 26 juillet
On connaissait déjà Nathalie Miravette en interprète et en solo dans le délicieux Cucul mais pas que. Mais elle franchit cette fois une étape importante : les chansons de En toute modestie, son nouvel album ont été écrites spécialement pour elle par des artistes comme Bernard Joyet (Elle est bien brave), Eric Toulis (La dame pipi) ou Manu Lods (Concon) mais aussi par Didier Bégon (La plus modeste) qui l'accompagne sur scène à la guitare. Nathalie a écrit elle-même quelques musiques dont celle de Va t'faire coacher, une chanson écrite par Juliette Noureddine. Elle a composé et écrit seule une autre chanson qu'elle n'a pas retenue pour son spectacle d'Avignon où, comme pour tous les artistes, les scènes ne sont disponibles que pour des sets d'une heure.
Le spectacle de Miravette est un grand moment d'humour et de fantaisie. Certes tous les thèmes ne prêtent pas forcément à rire (Dépressive, Miss Panique)) mais, c'est le choix de l'artiste et de ses auteurs, elle les aborde toujours avec beaucoup de recul. Une musique très dansante contribue aussi à créer une atmosphère toute de légèreté. Il est bien difficile de pleurer sur un air de java !
La belle pianiste qu'elle a été si souvent en accompagnant d'autres artistes se met cette fois très rarement à son clavier laissant à Didier Bégon une large responsabilité pour l'accompagner avec talent à la guitare. Libre de son corps et de ses mains, Nathalie en profite pleinement. Elle accompagne son chant d'une belle gestuelle que Juliette l'a aidée à mettre en place en assurant la mise en scène de ce spectacle.
Elle sont très rares de nos jours les grandes interprètes qui, comme elle, peuvent proposer un spectacle aussi personnel et totalement abouti comme celui qu'on peut admirer pendant tout le mois de juillet à l'Arrache-Coeur en Avignon. On devine tout le travail qu'il a fallu dépenser pour aboutir à ce résultat mais Nathalie réussit à donner au public l'impression d'une grande facilité.
Plusieurs artistes vont donc maintenant regretter la belle pianiste qui les accompagnait jusque là si souvent. En effet Nathalie Miravette va certainement se consacrer maintenant à sa carrière d'interprète, car En toute modestie, elle a de toute évidence le talent d'une grande dame de la chanson.
Nathalie Miravette chante tous le mois de juillet à l'Arrache-Coeur en Avignon à 13h30
Amélie les Crayons nous a offert tout récemment Mille Ponts, un superbe nouvel album. Elle nous propose dans la foulée un merveilleux spectacle actuellement programmé à Avignon avant une très longue tournée 2017/2018 qui va remplir les salles dans toute la France avant d'enflammer les festivals de l'été 2018.
Dans l'immédiat on peut donc se régaler de ce spectacle à Avignon. La plupart des chansons du nouvel album y ont bien sûr trouvé leur place. Chacune d'elle est mise en scène de façon différente (Fred Radix a été de bon conseil sur ce plan), faisant appel à toute la collection d'instruments d'Olivier Longre et Quentin Allemand, les 2 musiciens qui se sont totalement engagés aux côtés d'Amélie. Ils forment par moment un merveilleux trio vocal qui s'accompagne joyeusement des claquettes. On admire aussi leur grande complicité quand il se retrouvent à jouer ensemble sur l'immense marimba qui impose sa présence sur la petite scène de l'Arrache-Coeur d'Avignon.
Et avec son piano magique (surprise garantie pour les futurs spectateurs), Amélie nous ravit avec des chansons joyeuses (L'escalier), énigmatiques (Mille Ponts, Laleina), tendres (Le secret), engagées (Le vent dans les éoliennes, Mon pays)... un univers de poésie aux multiples facettes qui nous offre généreusement de beaux moments d'émerveillement.
Le spectacle est aussi très dansant. La musique très folk, aux sonorités qui évoquent parfois le celtique, invite à la danse. Denis Plassard, le grand chorégraphe lyonnais, est intervenu dans la mise en place du spectacle. Et Amélie danse joyeusement et avec talent, donnant au spectacle une dimension toute festive qui enthousiasme le public avignonnais.
Le bouche à oreille et la notoriété d'Amélie les Crayons attire de toute évidence un large public pourtant très sollicité par les centaines de propositions du Festival Off. Si, de passage à Avignon, vous ne voulez pas rater ce rendez-vous, il est recommandé de réserver très rapidement.
Amélie les crayons tous les jours à 18 heures à l'Arrache-Coeur
Clément Bertrand a sorti en 2016 Peau Bleue, son nouvel album réalisé avec Romain Dudek. Ces chansons sont devenues un nouveau spectacle présenté tout le mois de juillet à l'Arrache-Coeur, au festival Off d'Avignon dans le cadre d'une opération mise en place par l'ADAMI (qui gére les droits des artistes et musiciens interprètes), une initiative dont Francofans est partenaire.
Tout ceux qui le connaissent savent que Clément est un grand poète et, en chansons, il est clairement dans la lignée de Léo Ferré. Ses textes peuvent être crus et avec le sexe on va sans hésitations vers le volcan qui brûle entre les cuisses de l'amante. Mais la tendresse l'emporte aussi quand c'est la nuque qu'il embrasse (Ta nuque) alors que les hommes reluquent le cul de cette beauté.
Mais l'amour est aussi éloignement ou séparation et on retrouve l'artiste en pleurs sur la voie 2 de la Gare Montparnasse, la gare des gens du Grand Ouest. Car Clément vient de son île d'Yeu où il vit toujours. Et il en chante la violence des récifs (Chporgne) mais aussi ces faire-parts de décès affichés dans les bars (Fleurs naturelles) et qui se concluent par une injonction sans appel « Fleurs naturelles uniquement ».
L'émotion est belle quand Clément se souvient des seins de sa mère (Les seins de ma mère), cette femme qui le surveillait de loin, sur la plage où le gamin faisait l'apprentissage de l'Atlantique. Beaucoup de tendresse aussi pour sa sœur, la frangine (Branleuse) partie pour le Québec et qui l'a laissé si triste, ce frangin « à la tendresse un peu picoleuse »
En forme de conclusion, l'artiste chante son métier (Chantons donc) ; il chante parce que c'est à ça qu'il sert, « pour s'entre consoler nos peines »
Nolvan Rivetti, un magnifique guitariste, accompagne sur la scène Clément Bertrand. Sa guitare électrique est le plus souvent d'une grande délicatesse mais peut devenir puissante quand les deux artistes deviennent de concert des rockeurs enflammés.
Clément Bertrand nous offre donc un beau spectacle émouvant et généreux. A ne pas rater par celles et ceux qui passeraient en juillet à Avignon.