Depuis quatre ans, Emmaüs fait le pari de proposer un festival de grande ampleur en milieu de semaine. Pari réussi puisque ce sont 12 000 personnes chaque soir qui se sont pressées sur le site de la communauté du Béarn. Il faut dire que l'affiche éclectique, réalisée en partenariat avec le Tactikollectif, avait de quoi allécher.
L'association avait aussi le souci de proposer un événement qui ne soit pas que festif. Chaque matinée était consacrée à une conférence-débat avec des invités pointus. Au programme, mercredi : L'énergie doit-elle répondre au consumérisme ? et jeudi : Les jeunes victimes de la pub et des marques. Un village associatif à l'entrée du festival accueillait aussi de nombreuses associations militantes.
Emmaüs, lieu d'accueil, de travail et de lutte contre l'exclusion accueillait le festival sur ses terres jusqu'à côté de la recyclerie qui donne une seconde vie aux objets déposés par les riverains, de la ferme alternative et du village des compagnons.
Côté musique, c'est Susheela Raman, belle anglaise d'origine indienne qui ouvre le bal sur la grande scène sur le coup de 17h00. Le site est loin d'être encore rempli, ce sera malheureusement trop peu de veinards qui profiteront de la présence envoutante de la chanteuse. Depuis le magnifique Salt Rain (2001) ou Vel le dernier en date où elle intègre des chants tamouls, Susheela marie avec grâce sonorités indiennes et rythmes pop ou électro, sans peur de bouleverser les codes. On savait ses albums magiques, mais sa présence sur scène accompagné de ses musiciens n'a pas démenti son talent.
Grand écart artistique, c'est Volo, les deux frères Volovitch échappés des Wriggles qui prend la suite. Mais en ajoutant contrebasse et batterie à leur duo, ils semblent avoir perdu la beauté fragile qui naissait de l'échange de leur voix et de leur guitare.
Gaëtan Roussel, trois victoires de la musique dans la poche dont celui de l'album rock est le prochain, mais c'est un set plutôt électro qu'il propose. L'homme, dont on connaissait les talents de compositeur depuis Bleu Pétrole d'Alain Bashung ne paie pas de mine, mais on reconnaît très vite l'homme de scène. Mélangeant anglais et français, Gaëtan Roussel avec Ginger propose un album décalé loin de ses productions passées avec Louise Attaque ou Tarmac.
Toujours inséparables, les Hurlements d'Léo et les Ogres de Barback jouent l'un à la suite de l'autre. De retour au printemps avec Bordel de Luxe après cinq ans d'absence, les HDL se veulent plus rock, plus politiques, plus dérangeants. Pari tenu. Les titres enlevés à la limite du punk se succèdent, mais sans oublier l'inoubliable Café des Jours Heureux. Les Ogres étaient de retour aussi avec un nouvel album et un nouveau spectacle. Sur scène, s'élevait une structure improbable, prétexte à de nombreuses pirouettes des quatre musiciens. Comme d'ordinaire, ils passent d'un instrument à l'autre et s'ils semblent toujours réservés, on sent bien le tempérament de feu qui les anime à l'intérieur. A l'opposé des HDL, ce sont à des influences électro qu'ils se frottent sur quelques morceaux.
Emir Kusturica et son No Smoking Orchestra sont les derniers à brûler les planches. Si Emir Kusturica à la basse est discret, Nelle Karajlic (nom de scène qui signifie " celui qui baise beaucoup !") le chanteur est un véritable showman. Habillé d'un costume ridicule, il multiplie les facéties sur scène. Les airs connus s'enchainent : Unza Unza Time, Pitbull, Terrier, Life is a Miracle, Was Romeo Really a Jerk... La musique des Balkans résonne sur tout Lescar et sur un public conquis.
Le lendemain, quelque peu fatigués par les neuf heures de concerts de la veille, c'est reparti avec une deuxième soirée qui propose une programmation aussi impeccable. Surprise du programme, c'est la fanfare explosive la Collectore qui lance la première note. Puis la Phaze poursuit la lancée avec un son à mi-chemin entre rock et électro : du pungle, néologisme crée à partir de la musique punk et jungle. Mélange atypique et déroutant, mais mélange réussi.
Keny Arkana petit bout de femme pleine de rage déjà présente lors de l'édition 2008 monte ensuite sur scène. Si le personnage ne laisse pas indifférent, très vite on est forcé d'admirer la force de la jeune rappeuse et on se laisse émouvoir par ses émotions mises à nu, notamment lors du titre La rage du peuple. Pas de baratin, Keny révoltée et survoltée occupe le terrain, privilégiant le militantisme au rap.
Après le rap, c'est au tour du reggae d'être mis en avant avec Dub Inc, puis Tiken Jah Fakoly. L'homme est toujours majestueux, traversant la scène en quelques grandes enjambés, survoltant la foule. Véritable humaniste, il est le porte-parole d'une Afrique opprimée et militante mais sans aucun misérabilisme, chantant haut et fort « Personne ne viendra changer l'Afrique à notre place. » Avec plus de sept albums à son actif, Tiken propose un medley qui fait un tour d'horizon de tous ses titres marquants. A la fois complet et frustrant !
Goran Bregovic enfonce le clou de ce que le No Smoking Orchestra avait commencé la veille. Départ immédiat pour l'ex-Yougoslavie et on plonge directement dans les films d'Emir Kusturica, dont Goran a composé les bandes originales : Arizona Dream, Underground, Le temps des Gitans. Avec sa fanfare gitane, ses voix bulgares et des samples electro, Goran transcende les genres et propose une musique universelle qui anime les pieds sans frontières.
C'est déjà la fin avec High Tone, le site se vide, il ne restera que les irréductibles de l'électro pur.
Il ne reste qu'à souhaiter longue vie à ce jeune festival et se dire à l'année prochaine pour une programmation encore plus folle (on murmure déjà le nom d'un groupe toulousain fortement lié au Tactikollectif...).
Audrey Lavallade