LA GOUTTE
Advienne que pourra
(Auto-produit)
Plus homogène, ce troisième album affiche une réelle direction artistique. Si la chanson française acoustique est toujours mise à l’honneur, le groupe se montre aujourd’hui plus rock tout en affichant un bel équilibre musical. La voix de Gaby, toujours marquée d’autant de sensibilité, demeure alors au centre du projet dans le sens où elle donne une identité aux Lillois. Advienne que pourra nous parle d’amour, d’amitié, de doutes et de questionnements personnels engendrés par une solitude recherchée ou non. Néanmoins, comme le suggère son titre, l’album évoque aussi le destin et les hasards de la vie, des notions retrouvées dans les textes comme dans les mélodies. Aérienne, nostalgique et entraînante, la musique de La Goutte ressemble ainsi à une feuille qui se laisserait bercer au gré du vent. Le groupe réussit alors à nous faire prendre du recul sur nos propres vies avec beaucoup de poésie.
Nicolas Claude
ADRIENNE PAULY
A vos amours
(Choï Music / Because)
80 000 albums vendus et deux nominations aux Victoires, Adrienne revient après neuf ans d’absence. Elle avait comblé son silence avec un premier titre l’année dernière J’veux tout, j’veux rien. Elle n’avait pas vraiment disparu, elle était ailleurs, au cinéma avec Claude Chabrol entre autres. Toujours aussi rock, autant dans la musique que dans le propos, Adrienne Pauly n’a pas peur de dire ce qu’elle veut, même si elle a parfois du mal à savoir quoi exactement. Ses amours, ses passions, ses ennuis, Adrienne se raconte avec ce qu’il faut de pudeur, de langueur, de fragilité, de folie. Elle ne manque pas non plus d’humour à l’image de son Excusemoihiste, dont le clip met en scène Catherine Laborde en pompomgirl. Lors de son premier album, elle chantait vouloir un mec, sur son deuxième, elle l’a trouvé et c’est lui qui a écrit les musiques de ces onze nouvelles chansons, la vie est bien faite parfois.
Audrey Lavallade
SIDI WACHO
Bordeliko
(R3Dline Productions)
Deux ans après Libre, la formule est inchangée et l’énergie positive encore décuplée. Associant le hip-hop et la cumbia sur des rythmiques tour à tour balkaniques et sud-américaines, cette formation cosmopolite ne possède ni code, ni frontière, ni limite : pourvu que ce soit explosif, dansant et populaire ! Jamais donneur de leçons, Sidi Wacho exerce son devoir de mémoire afin de résister aux oppressions et combattre contre les inégalités sociales. Toujours rangé du côté des ouvriers et des prolétaires, le groupe fait alors preuve d’une vraie richesse artistique. Qu’il soit MC, accordéoniste, trompettiste ou percussionniste, chacun des membres met ses propres compétences et influences au service d’une musique originale et endiablée. Excellent remède contre l’isolement et la dépression, Bordeliko nous donne l’irrésistible envie de sortir et de se rassembler autour d’un état d’esprit festif et libertaire.
Nicolas Claude
LE ROI ANGUS
Est-ce que tu vois le tigre ?
(Cheptel Records /Echo Orange)
Après un coup d’essai remarqué en 2015 avec Îles essentiel, qui emmena la formation suisse aux États-Unis et dans divers pays d’Europe, Le Roi Angus confirme les espoirs avec ce second opus complètement hybride. Qualifiée de formation rock, l’appellation semble bien réductrice, tant le quintet maîtrise le mix des influences des années 70, 80 et 90... avec une section rythmique énergique, une basse enflammée, on flirte avec le funk, la disco à l’image du premier single (à succès) La wax, les guitares assurant aussi le côté rock psychédélique (L’été), ou folk (Presque le Canada). Un peu fondue dans ce très bon décor musical, une voix douce et claire, des mots (en français) bien sentis et qui claquent, répondent à l’énergie rythmique des musiques. Des textes subtils, introspectifs, empreints de fausse légèreté. On s’incline, Le Roi Angus est adoubé !
Stéphanie Berrebi
FRÉDÉRIC BOBIN
Les larmes d’or
(Auto-produit)
Les larmes d’or, ce nouvel album de Frédéric Bobin est un beau travail d’artisan. Un travail de quatre années de composition avec son frère à l’écriture, suivies d’une année pleine pour en faire un disque. Un vrai artisan d’art qui a réalisé les arrangements et mis en musique ses guitares, la batterie de Mikael Cointepas et le violoncelle d’Hélène Piris. L’album est à dominante folk et acoustique. Mais il y a aussi des Étreintes intermittentes très pop et La fiancée, une belle ballade rock. Nostalgiques, on se balade en Super 8 dans La maison de mon grand’père. Mais on s’engage aussi avec courage aux côtés de Jimmy et la brigade de nuit qui sillonne des quartiers où les filles trop belles n’osent pas montrer leurs jambes. Pour conclure, Frédéric nous offre un beau duo avec l’ami Kent et un hymne magnifique aux artistes (Les larmes d’or), peintres, musiciens ou poètes, qui transforment leurs problèmes en Guernica, en doux refrains ou en tournesols.
Yves Le Pape
DAPHNÉ
Iris extatis
(At(h)ome)
Réalisé avec Édith Fambuena, le sixième album de la Clermontoise est fragile et léger comme un rêve de soir d’été. En prêtant l’oreille, vous entendrez au détour des chansons un sitar indien, un koto japonais, un laud marocain, une harpe, et même des rythmiques qui frisent la deep house. Le disque s’ouvre avec le titre Song for rêveurs à l’ambiance électro et au refrain en anglais. L’artiste montre une sensibilité à fleur de peau quand elle chante « Je pleure quand tu m’dis des choses belles » dans Faite à l’envers. Le temps d’un duo avec Édith, sur les mal-aimés, dans On n’a pas fini de rêver, on ressent cette collaboration jouissive et fusionnelle. On aime le titre Mohini Miranda pour son ambiance Bollywood et la fantaisie débridée façon opérette italienne de Supercalifragilis qui nous porte au sommet de l’Himalaya. Iris extatis est l’oeuvre d’une rêveuse qui croit fort au mythe de l’amour et aux bizarreries de la vie.
Sam Olivier
JULIETTE
J’aime pas la chanson
(Polydor)
J’aime pas la chanson, le nouveau Juliette est arrivé. Son nom évoque une émission qu’elle animait sur France Inter, mais il pourrait bien au contraire faire aimer la chanson aux plus rétifs. Réalisé avec Renaud Letang (Souchon, Manu Chao), on y retrouve Juliette avec tout son humour et sa belle écriture. Dans Madame, elle se moque avec virulence des contraintes de la féminité normalisée. Avec À carreaux ! elle revendique avec fierté ses lunettes comme étendard. Les sommets de l’humour sont atteints dans le discours de remerciement d’une Juliette Binocle (Je remercie) primée peut-être à Cannes. Mais Juliette sait aussi toucher au drame de l’exil (Aller sans retour) ou à la tristesse d’une journée dans Météo marine. Le piano, des cuivres généreux et un vigoureux choeur d’hommes mettent en valeur avec élégance tous ces textes. Interprète hors pair comme à l’accoutumée, Juliette nous offre là un album qui marquera l’année.
Yves Le Pape
GONTARD
Tout naît, tout s’achève, dans un disque
(Ici d’Ailleurs)
Ici, tout commence par la fin. Telle est l’épitaphe de Gontard. De ses espoirs d’être un jour un chanteur à (gros) succès. À moins qu’il ne s’agisse plus prosaïquement de clore un cycle musical inauguré en 2012 par Bagarre lovesongs, et poursuivi par le remarquable Repeupler. Abandonnant le recyclage des poubelles de la pop musique indépendante au bénéfice d’une cohésion d’orchestre quelque part entre Cake (Real doll) et les yé-yé (Singapour), notre Valentinois prend ici un nouveau virage. Bien sûr, l’auteur ne cède en rien à la causticité acide ni au cynisme jovial qui le caractérisent. Mais en lâchant la bride à ses musiciens, notre homme au masque de lapin donne à son propos une force et une puissance inattendues. À l’instar d’un Didier Wampas dont la poésie affleure avec de plus en plus de force au fil des albums, le propos finalement éminemment politique de Gontard n’a jamais été aussi richement mis en valeur. Beautiful loser.
Alex Monville