Les 8 indispensables du numéro 112


JEANNE CHERHAL

Jeanne

(Tibia / Decibels Prod)

Avec Jeanne, Cherhal nous délivre un portrait intime en creux. Ce septième album est le premier produit en totale indépendance, sur son propre label. Benjamin Biolay l’a réalisé et a écrit tous les arrangements. Les textes sont teintés d’humour sur Foutue ou Hitachi magic wand, une ode (dé)culottée au plaisir solitaire féminin. Elle évoque les épreuves de ses consoeurs avec La maman et la putain, aux arrangements luxuriants, Le cri des loups (avec la voix du président soutenant Depardieu), les violences domestiques abritées Sous les toits et La marée, suite de Douze fois par an. Elle se fait romantique sur Jean, acteur fantasque fantasmé, et sur Faut plus qu’on se revoie, délicieux duo avec BB, comme une suite de leur Brandt rhapsodie d’il y a quinze ans. Cordes, cuivres et autres Rhodes participent à l’élégance de chansons comme Rodrigues ou Sahara. Si vous trouvez que La vie est trop courte, cet album vous offrira un instant de répit.

Sam Olivier


GUIZ

Utopia

(Salut Ô Productions)

2023. À la fin de la dernière tournée de Tryo, Guiz souhaite vivre une nouvelle expérience et creuser un sillon plus personnel. Raconter ce monde chaotique, qui mérite pourtant d’être défendu. Dans Utopia, il chronique le pouvoir confisqué au peuple (Carnaval), le « jour de grève pour les droits de l’homme » (Quoi de neuf dans Babylone) et cherche la beauté dans ce quotidien saboté (Utopia). Il lui ajoute des couleurs, des vibrations, sautillant des riddims reggae (Bye Bye) aux saillies électro-rock, des ballades folk (Mon petit monde) aux transes blues d’Afrique de l’Ouest (Comme il est, feat. Mariaa Siga de TeKeMat). S’il s’agit de son premier disque solo, Guiz est un homme de collectif : pour bâtir son utopie, il a invité quelques potes, dont les guitaristes Manu Eveno et Martin Laumond de Tryo, le sorcier du scratch DJ Ordoeuvre, Mike et Riké de Sinsémilia sur Débrancher. Un hymne de nos villes et de nos campagnes, « plein d’optimisme et de combats ».

Youri


BABX

Amour colosse

(La Familia)

Bercé dès sa plus tendre enfance par la musique classique, David Babin, alias Babx, revient avec un album empreint d’une poésie très inspirée. Ces textes ont été écrits dans les méandres d’une société qui souffrait, en se figeant sur elle-même lors du Covid, courant mars 2020. Ce temps arrêté, suspendu à nos incertitudes, permit à Babx de sonder son petit monde en délivrant une alchimie toute personnelle. La naissance de sa fille Alma est à l’origine de ce disque qui visite son imaginaire créatif. Cet Amour colosse, qui a fendu son armure, lui a permis de réaliser une introspection salvatrice. La paternité l’amène à chérir les détails de chaque moment et de chaque chanson : « Je me cogne dans les nuages / Je fais des tonneaux / Je fais des loopings et des virées ». Dans Chevaleresse, on court à n’en plus finir à travers le temps avec comme objectif l’amour et l’ivresse. À noter que cet album est produit par le touche-àtout JP Nataf.

Jean-Hugues Mallot


PIERRE GUÉNARD

Voltige

(Baronesa / Sony Music)

Comment dissocier Pierre Guénard de son groupe Radio Elvis ou de son activité reconnue de romancier ? En plongeant tête la première dans son univers d’auteur-compositeur-interprète. Après un premier album, Je n’ai plus peur de danser (2023), à l’intimité pop et soyeuse, voici Voltige. Cet artiste a parfaitement compris Paul Éluard, qui savait que pour faire rimer facile et agile, il faut être un orfèvre. Pour s’en convaincre, il suffit d’écouter Le feu qui, en notes souples, interroge gravement sur la pertinence du couple. Il enchaîne sur le faux naïf Tant mieux, dont le texte a été coécrit avec Vianney. La profondeur des sentiments en toute candeur… Les onze chansons ravissent ; il ne sert à rien de regimber ou de s’ébrouer, Pierre Guénard nous a déjà entraînés en haute voltige. N’omettons pas de souligner un vrai coup de coeur pour 7x ma langue aux purs accents new-wave. « Et quand je parle trop, je voudrais disparaître… » Non, surtout pas !

Didier Beaujardin


GEORGE KA

Les rebords du monde

(Excuse My French / Pavillon Bleu)

Une voix grave et posée émergeant du chaos. Un écho rassurant, une lumière venant des marges et des rebords. Ka. Un nom de scène qui évoque les frappes gwoka et les révoltes guadeloupéennes, sauf qu’ici, les tambours sont vocaux. Parlé-chanté sur nappes électro-pop, sauce 2-step (Basic fit en duo avec Fils Cara) ou caresses de violoncelle (L’Espagne). George Ka traverse la fourmilière urbaine et ses démesures pour « faire danser nos monstres avec ceux des autres ». Elle prend le bus et la fuite, car il y a trop de monde dehors, et même dans ce Bus 115, où se tassent les piètres victoires et les défaites trop nombreuses. « Dans cette ville, il y a des histoires éparpillées chaque semaine / Collées en dessous de chaque semelle. » Révélée sur les scènes open mic parisiennes, George Ka pose ses mots plein fer, flowte sans clinquant pour ne pas dénaturer le propos ; ça claque sur chaque titre. Ce premier album est bluffant.

Ben


BERTRAND LOUIS

Stéréotype(s)

(EPM Musique)

Bertrand Louis a choisi l’école de la patience. Après des années au sein de plusieurs groupes, l’auteur-compositeur et interprète belfortain attend la trentaine pour proposer un premier album. Bertrand Louis, qui sort en 2001, est repéré et récompensé. Les dix dernières années, ses compositions se mettent au service des poésies de Baudelaire, Muray et Verlaine. De nouveau, il a pris son temps et, aujourd’hui, c’est heureux, il revient à ses propres textes avec Stéréotype(s). Déployant un regard aigu, une plume comme un scalpel, il y règle ses comptes avec notre époque. Pas de sarcasme ni de désespoir gratuit, mais une grande lucidité, qui fait mieux que de poussifs débats. Bertrand Louis procède à des collages sonores, des pastiches et des vibrations qui secouent fort. « À part la droite, il n’y a rien que je méprise autant que la gauche », se gausse-t-il, ou invite : « Allez, fais un geste pour la planète ». Chiche !

Didier Beaujardin


GABI HARTMANN

La femme aux yeux de sel

(Sony Masterworks)

Pépite des scènes jazz-world depuis un premier album encensé par la critique en 2023, la globe-trotteuse parisienne ne cesse de redessiner la mappemonde musicale, naviguant dans les répertoires jazz, folk, soul, musiques africaine et brésilienne. Dans ce second disque, Gabi la polyglotte à la voix de velours, guitariste aux cordes sensibles, raconte le périple de Salinda, née avec des yeux de sel qui fondent à chaque larme versée. Un conte initiatique sur le regard que l’on porte sur les autres et sur soi, sur le vivre-ensemble à l’heure des extrêmes et du communautarisme triomphants. Entre féérie folk, jazz buissonnier, lueurs latines, rumba caribéenne ou guinéenne, Gabi compose une somptueuse fresque aux couleurs pastel, riche en invités prestigieux, dont la flûtiste Naïssam Jalal, les saxophonistes Oan Kim, Laurent Bardainne et le pianiste Baptiste Trotignon. Un all-star autour d’une femme aux yeux de sel et de braise.

Youri


OLIVIER COSTES

Dix de der

(Autoproduit)

En 2008 sortait Fais-moi une passe, signé Olive et Moi. Un album incontournable, qui, malheureusement, n’a pas trouvé son public. Rebelote, Olivier Costes revient sous son nom, avec sa plume inimitable, teintée d’humour et d’ironie, et ce même talent. Celui de faire rimer les mots avec les maux. Jouer avec eux comme dans une partie de baby-foot acharnée. Renvoyer la balle sans temps mort. Car la vie est courte et qu’il faut savoir partager. Faire rimer amour avec toujours. Même s’il chante Je n’aime pas l’amour (« Même si je t’ai aimé un jour »). Musicalement, il flirte toujours avec les années 80, où la basse et les synthés étaient omniprésents. Minimaliste. Encore une fois, la voix de Bénédicte Bourlier (ex-Liz de Lux) vient charmer l’ensemble sur quelques titres. La formule duo est divine. Cette fois-ci, ne ratez pas le coche, malheureux. Ce Dix de der ne doit pas signer la fin de la partie.

Eddy Bonin


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