Les 8 indispensables du numéro 110


ASTÉRÉOTYPIE

Patami

(Air Rytmo)

Troisième OVNI du collectif de chanteurs autistes et de musiciens pros créé il y a une dizaine d’années à l’Institut médicoéducatif de Bourg-la-Reine. Une fois de plus, les textes à la fois hyper réalistes et surréalistes de Claire, Stanislas, Yohann et Aurélien frappent tels des uppercuts sur des instrumentations post-punk, noise et garage-rock. Patami, kesako ? C’est tout ce qui est doux et réconfortant, présent en chaque chose, selon Stan. Chez Astéréotypie, le machin émane des orques qui adorent le foie de requin, d’un requinbaleine qui ne sert à rien, des dinosaures à bec de canard, mais aussi de Prométhée et des dieux, ici-bas. Astéréotypie cherche la lumière et un peu de fraternité dans le grand bestiaire de l’être humain. Astéréoatypique le chante : Je ris pour autre chose, sans moquerie, en renversant le miroir et en repoussant plus loin les frontières du réel. À ceux qui ne pipent rien au Patami, il répond : Calme-toi, bouge tes genoux.

Ben


LISA LEBLANC

Live avec l’Orchestre symphonique de Québec

(Bonsound)

Lisa LeBlanc, reine incontestée du trashfolk, fait sensation avec son nouvel album live enregistré en collaboration avec l’Orchestre symphonique de Québec. Cette collaboration audacieuse met en lumière un contraste saisissant entre l’énergie brute de la chanteuse acadienne et la puissance orchestrale raffinée. Le disque est une véritable réinvention de son répertoire, qui gagne en profondeur et en nuance, tout en préservant l’essence de ses textes mordants et espiègles. Des titres phares comme Aujourd’hui, ma vie c’est d’la marde et Dans l’jus sont transformés en véritables fresques sonores. L’album s’écoute comme une aventure à part entière et démontre le talent caméléon de l’artiste capable de passer d’un univers intime à un cadre grandiose sans perdre de son authenticité. Elle nous rappelle que la musique, quel que soit son cadre, peut être à la fois débridée et noble.

Quentin Börner-Hingrand


PHILIPPE KATERINE

Zouzou

(Cinq7)

Katerine, homme de radio, plasticien, danseur, chanteur, auteur, compositeur, possède un charme fou qui ne laisse personne indifférent depuis sa prestation à la cérémonie d’ouverture des J.O. de Paris. Tout au long des dix-sept titres de son onzième album, arrangé et produit par Adrien Soleiman et Victor Le Masne, Katerine dresse un bilan à mi-parcours de sa vie et se met presque à Nu. Il passe de titres gags comme La chanson d’Edie, sa fille imitatrice de chanteuses à la mode, ou Que deviens-tu, sur sa verge, à celles plus tendres sur ses enfants, Père, toujours est-il, son chien Zouzou et le Cinéma. Il y a enfin les morceaux plus nostalgiques comme Frérot, Chez Philou (El Café Bar) où l’artiste aimait refaire le monde entre amis, Joyeux anniversaire sur le temps qui passe, et Bonifacio. « La vie, c’est un cadeau / Pas besoin d’en faire trop », chante-t-il. L’écouter Sous la couette (« Je chante ce qui me vient ») en est un aussi.

Sam Olivier


LOU K

L’obscurité

(Autoproduit)

Nous sommes à la fin des années 70, au coeur des années Giscard. La France est férocement ancrée à droite, les ondes sont contrôlées, n’offrant de place qu’à une variété française rance. Rien ne semble bouger. Pourtant, c’est de cette décennie que naîtra l’explosion du punk et des radios libres sous l’impulsion d’une jeunesse ivre de liberté et de guitares. Alors, quand cinquante ans plus tard déboule un furieux trio de Belges – Lucie Lefauconnier (chant-guitare), Raphaële Germser (basse) et Audrey Dechèvre (batterie) – dans le ronron musical ambiant, on se prend à y croire à nouveau. Efficacité mélodique et sens de la concision, esthétique garage et énergie punk, textes frontaux et poétiques, Lou K évoque les (géniales) Calamités d’antan et les furieuses Wet Leg. Ou comment remettre le rock au premier plan de la scène musicale tel un prélude à des jours nouveaux. Comme un demi-siècle plus tôt ?

Alex Monville


LUCAS ROCHER

Premium (live)

(Bleu Pinces Productions)

Voilà donc un album live, qui s’écoute « à l’ancienne » (sans le mode aléatoire) pour saisir les intermèdes. Mis à part le duo sur Chanteurs confidentiels avec Emmanuel Urbanet qui prête à sourire, cet album, coécrit avec ce dernier et Frédo Volovitch, prend le chemin de la chanson intimiste plutôt que celui de la chanson humoristique. L’évolution, surtout des relations humaines, est le sujet central du disque : il parle de ces amis qui sont devenus des beaufs (Adieu l’ami, C’est chiant) ou des ex (Content pour moi). Lucas expose également ses faiblesses, notamment le manque de courage face à des situations violentes (Faudrait voir à penser). L’évolution passe par la personnification de L’algo, dans un monde où l’artiste est devenu « créateur de contenus » (Au départ). Lucas Rocher se révèle et se renouvelle avec un répertoire des plus touchants. Sa simplicité, son flow et son jeu de guitare en font un artiste premium.

Stéphanie Berrebi


KAREN LANO

L’âge d’or

(Le chant des Muses / Modulor)

Surtout ne pas réduire Karen Lano à la seule tenue de chanteuse folk, même si elle est assez rare sous nos climats pour nous réjouir d’en apercevoir une de belle qualité. L’autrice-compositrice-interprète aime trop sa liberté et le mouvement pour accepter une étiquette. Si elle choisit la langue de Shakespeare pour enregistrer son premier album, My name is Hope Wester, dès le deuxième, en 2020, elle livre des textes en français. Sur l’opus Muses, dont il s’agit, l’indépendante résolue invite quand même à la rejoindre le duo Facteurs Chevaux. Et de trois donc, avec L’âge d’or, cet automne, ciselé en neuf titres, aux côtés d’Olivier Legall. La fantasque Emily Loizeau intervient sur le titre Pasacé, tandis que Brisa Roché incarne auprès d’elle la Femme nature. Dire que l’ensemble est marqué par la grâce est la moindre des politesses, tant « Ici on a été heureux / On a regardé passer les oiseaux migrateurs. »

Didier Beaujardin


MARION ROCH

Au bout de ma table

(Play Two)

« J’ai divorcé, j’ai déménagé, j’ai culpabilisé et j’ai appris à vivre seule », raconte Marion Roch sur Facebook. De ce bouleversement est né l’album Au bout de ma table, également titre de la première chanson dans laquelle guitares, trompettes puis violons portent ses couplets denses et ses refrains entêtants, jusqu’à la libération : « J’assume d’être une louve solitaire. » Tout aussi intime, son morceau Comment tu fais ? rend hommage à sa mère « libre et tête de bois », tandis que Tes hirondelles s’adresse à sa grand-mère avec une tendre poésie (« Tes cheveux brillent de tes années dont tu ne m’as pas tout raconté »). Ancienne éducatrice spécialisée, elle a écrit La bête au ventre, toute en tension. Retournée par l’actualité, elle chante, dans Avant d’avoir vécu : « Qu’il soit d’ici ou d’ailleurs, d’un côté ou de l’autre, un enfant qui meurt sera toujours le nôtre. » Et fait ainsi entendre la puissance de sa voix.

Marion Mayer


GRINGE

Hypersensible

(3e Bureau)

Six ans après Enfant lune, Guillaume Tranchant (alias Gringe) revient avec Hypersensible et nous révèle une météo intérieure plutôt chagrine, teintée d’humour noir ou vache. Les mélodies de Tigri, jeune producteur prodige, collent parfaitement au flow de l’artiste. Cette hypersensibilité lui sert de catharsis pour écrire le diptyque Du plomb / Effet de surplomb, une réaction à la mort de Nahel, l’ado tué par un policier en juin 2023. Couler des jours heureux est un hommage codé au chanteur Christophe. Il fait signe aux années 90 avec Boomer, un tribut à ses mentors et à Cyril Collard avec Nuits fauves. Gringe caricature le showbizz dans Fake ID et l’excès de fumette dans Xan. L’autre moitié de Casseurs Flowters, OrelSan, partage Feelings, un titre à effet boomerang. Côté Corde sensible, Gringe croise la voix cristalline de Saan. Alternant avec subtilité douceur et colère, ombres et lumières, Hypersensible joue dans la cour des grands.

Sam Olivier


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