Les 8 indispensables du numéro 108


MAGYD CHERFI

Le propre des ratures

(LKP)

Après ce qu’il vient de se passer en France, poser un album de Magyd Cherfi sur la platine, c’est faire acte de résistance. Mettre Reda Reda à fond et ouvrir grand les fenêtres, pour faire chier les voisins. Enchaîner sur Le blues du balayeur (« Il y a toujours devant chaque porte, des crottes de chien, des feuilles mortes, que ne ramasseront pas, pardonnez-moi, monsieur Prévert et monsieur Kosma ») et en remettre une couche avec La beauté intérieure. Le vivre-ensemble dégouline de bonheur le long de ces onze plages. La voix chaleureuse de Magyd y est pour beaucoup. Son accent, ses couleurs, sa sincérité et ses odeurs épicées transpirent de la galette. Avant tout un auteur, écrivain de talent, son dernier roman La vie de ma mère ! est aussi magnifique. Au final, quand la dernière note de Nous, les filles résonne, il me reste un sourire niais, entre rire et larmes. C’est sûrement ça, le bonheur. Magyd, je t’aime.

https://magydcherfi.com

Eddy Bonin


SILMARILS

Apolcalypto

(Run Fast Records)

La rumeur gronde : Silmarils est de retour. Et va y avoir du sport onze ans après le précédent album de la bande d’outlaws de David Salsedo. Les fans guettaient un nouvel opus depuis que les Franciliens avaient bondé le Bataclan en 2022, puis mis le feu au Hellfest et aux Vieilles Charrues l’année suivante. Malgré le temps qui fâne, le combo rap-core n’a rien perdu de sa fougue ni de sa propension à coller des gnons à travers sa fusion à chaud de rock, heavy, funk et hip-hop. Toujours révoltés (Tu nous mérites pas), les Silmarils promettent l’apocalypse dans ce disque riche en cocktails molotov, réalisé par Richard « Segal » Huredia (Dr. Dre, Eminem et Green Day). Riffs incendiaires, disto plein pot, beats rageurs et peaux qui claquent comme des fessées… chez Silmarils, il faut que ça sue, que ça saigne et que ça syncope. Ça sent le chaos, Welcome to America. Silmarils ne court plus, mais frappe toujours aussi fort.

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Ben


SOVIET SUPREM

Made in China

(Poupaprod / Modulor)

Après une décennie à secouer les foules sur scène, Soviet Suprem revient en force avec un opus qui marque un virage encore plus loin à l’est du rap. Ce troisième album franchit les grandes murailles musicales et géopolitiques. C’est ainsi que Sylvester Stalying et John Leyang explorent les thèmes de la mondialisation et de la production de masse Made in China, font une critique mordante du wokisme sur fond de beats épicés et hot, à la manière d’un bon plat du Sichuan (Woke wok), mêlent intrigues imaginaires et réalité déconcertante (Qui complote). L’iconographie communiste côtoie la contradiction de notre époque Coco et démontre la capacité du duo à aborder des sujets graves avec une touche d’humour et une énergie débordante. Soviet Suprem continue de chatouiller nos tympans, de gré ou de force, comme un dragon réveillé de sa léthargie.

www.facebook.com/sovietsupremofficiel

Quentin Börner-Hingrand


SIDI WACHO

Habibi sudaka

(Autoproduit)

Avec ce titre d’album, Sidi Wacho nous entraîne encore plus loin au carrefour du monde, rapprochant le Maghreb – avec ce terme affectueux « habibi » –, et l’Amérique latine – avec Sudaka, qui peut se définir par la « manière péjorative qu’ont les fascistes d’Espagne de surnommer les Sud-Américains ». Ça pose le programme. Sidi Wacho se place encore du côté des peuples opprimés, un puits sans fond au regard de l’état du monde actuel. Le mélange s’opère dans des musiques festives. Les sonorités orientales d’Afrique du Nord sont plus présentes qu’à l’accoutumé, grâce à Timoh et à Djam sur El harba, ou sur des titres tels que Ras el hanout. L’énergie reste toujours aussi intacte pour aborder la montée des partis haineux, l’oppression des minorités et l’appel à la révolte, les sujets de prédilection de la formation. Ce discours est – malheureusement – de plus en plus nécessaire.

www.facebook.com/sidi.wacho1

Stéphanie Berrebi


LES FILS DU FACTEUR

C’est encore loin la mer

(La Couveuse)

Délicat. Voilà le mot qui nous vient en tête à l’écoute du nouvel album des Facteurs suisses. Il se déploie avec finesse, et à la fin de chaque chanson, on en redemande. Encore de ce son profond, céleste, porté par le keytar, écho joliment remasterisé des années 80, qui est loin d’être la seule ambiance du disque. L’épaisseur musicale des Fils du Facteur se gonfle tout aussi bien du rock (La diag) que de la pop (Vaille que vaille), en passant par la ballade italienne (Italie) ou des morceaux plus grandioses (Tox & detox). Encore de cette écriture fine mais crue, pleine d’une ironie subtile et drôle (« T’as bien la gueule de ma prochaine connerie », dans La gueule du loup), sublimée par l’autodérision (Coup de vieux). Un ton qui porte formidablement les sujets plus que sérieux abordés par les musiciens : le suicide (400), ou la perte d’un proche, comme dans Grand frère qui nous a définitivement scotchés.

www.lesfilsdufacteur.com

Adrien Palluet


COMBO DAGUERRE

Fracassines

(Barbès Records)

C’est depuis son fief new-yorkais que le musicien, producteur et programmateur Olivier Conan, leader du groupe Chicha Libre et figure des « crate diggers » (collectionneurs de vinyles et chercheurs des sons perdus), a lancé son nouveau projet : un combo kaléidoscope riche en cocktails détonants, fracassants, de chanson, de cumbia, de boléro et de rock des sulfureuses sixties. Le tout chanté en français : « Après trente ans passés à Brooklyn, terre peu sainte où le français n’existe que dans des formes créolisées, mon français boite des deux jambes », dit-il. Pas tant que ça : Conan, enfant du XIVe arrondissement, redessine le Paris de Rivette et de Truffaut, tout en rhabillant Aragon et Brassens avec des quitiplás vénézuéliens. Le combo franco-latino fait un crochet par le 88 rue Daguerre, chez Agnès Varda, pour un hommage au son de la cumbia instrumentale. Retour aux sources parisiennes, bariolées, daguerréotypées, jamais stéréotypées.

www.daguerre-music.com

Youri


LO’JO

Feuilles fauves

(Yotanka)

À peine l’été installé qu’on rêve déjà d’être en automne, juste pour le plaisir de se mettre dans les oreilles cette nouvelle production de Lo’Jo. De la douceur, de la poésie, et surtout un voyage vers d’autres horizons. Aswar (« Ce soir » en créole) est sûrement l’un des morceaux les plus puissants du disque par l’intensité vocale qui s’en dégage. Avec René Lacaille, Jupiter & Okwess ou encore Mélissa Laveaux (racontant l’histoire de Julie) en invités sur les différents titres, nous nous baladons entre les Caraïbes et l’Afrique, avec des incursions dans la culture klezmer à travers les violons mélancoliques, le tango argentin (Aswar) et le reggae (Brother Barrett). L’album nous rapproche de la transe par ses refrains entêtants, où son et sens ne font qu’un, et ses choeurs nous saisissent. Cette image de Feuilles fauves est une belle métaphore de ce que contient ce disque : un vent de liberté et de légèreté salutaire.

www.lojo.org

Stéphanie Berrebi


AGNÈS BIHL

25 ans de la vie d’une femme

(One Hot Minute)

Voilà un album qui porte bien son nom. Dans 25 ans de la vie d’une femme, Agnès Bihl raconte avec tendresse sa vie, mêlée à celle de tant d’autres, dans laquelle chacune se retrouvera à un moment ou un autre de son parcours d’enfant, d’ado, de mère, d’amie, de divorcée, de personne âgée… Intégralement en pianovoix, le disque plonge dans une mélancolie poétique, ponctuée de pointes d’humour bienvenues. Fidèle à ses influences (de Renaud à Anne Sylvestre, avec qui elle a travaillé), la chanteuse joue avec les mots – « On était prince, on devient principe » dans Sac à vie - et n’hésite pas à slalomer entre des sujets durs, comme Alzheimer (Bon Dieu mon Dieu) ou la dépression (La déprime, une des plus jolies chansons), et des plus légers. L’adolescence avec Treize ans, la maternité avec La complainte de la mère parfaite et même les plans cul ratés sur l’air de Dis, quand reviendras-tu de Barbara… Il fallait oser.

www.agnes-bihl.fr

Marion Mayer


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