ASTONVILLA
Superspectives
(Delco Music)
Le power trio n’a pas pris une ride malgré ses dix années d’absence. D’emblée, le titre Superspectives balance les baffes pop-rock, avec son riff nerveux et sa disto poilue. Ça sent la poudre. « Un pied devant l’autre / Un pas dans le néant (…) Si j’ai la moindre chance, je la prends ». Fred Franchitti et ses dribbleurs (Tony Halet - guitare et basse, Greg Baudrier - batterie) vont droit au but. Ce sixième album a été composé en une poignée de mois, à l’instinct, à l’étincelle. Fissa et forza. Les guitares cinglent (Splendore evolution), la basse tonne, la batterie cogne (Harem japonais), le flow se pose pour frapper plein fer (Inspirer/expirer). Entre deux incandescences, place à une ode à la paresse (Saison 2), à une ballade acoustique brute de décoffrage (Les gamins, écrit par Fred Nevché) et à une divagation hobo-électro psychédélique (Beat Generation). Même les slow tempos tabassent. Astonvilla tire de superbes perspectives.
Ben
DELGRÈS
Promis le ciel
(PIAS)
Véritable phénomène depuis la sortie de son premier album, Mo Jodi (2018), Delgrès continue de dérouler la bobine blues-rock créole sur ce troisième disque. La formule ne change pas avec l’excellent Baptiste Brondy à la batterie (Lo’Jo, Aubert), Pascal Danaë (Peter Gabriel, Gilberto Gil, Laurent Voulzy) au dobro et à la guitare, et Rafgee à la basse et au sousaphone. Le premier titre, Promis le ciel, donne le ton : musique entêtante, percutante aux paroles évoquant l’esclavage au sens large. Car, oui, Delgrès, c’est aussi du militantisme assumé. On danse et on pense. On les a souvent surnommés les « Black Keys créoles » pour leur son accrocheur, les riffs répétitifs et le niveau musical de haut vol. En français et en créole, ces onze titres sont une gifle au creux de l’hiver. Même sur les ballades An pa ni sou et Where do they go, la part animale ne s’évapore jamais. Ils nous avaient promis le ciel, ils n’ont pas menti.
Mathieu Gatellier
BEYRIES
Du feu dans les lilas
(Audiogram)
En filigrane, jamais frontale. Dans les suaves mélopées de Beyries résonnent les cris d’une combattante. À la vingtaine, la compositrice montréalaise trouve refuge dans la musique après qu’on lui a diagnostiqué un cancer du sein. Elle écrit l’émouvante chanson Soldier, un chant de lutte saigné au piano. Seul titre en français sur son premier disque, Landing (2017), son duo avec Louis-Jean Cormier, J’aurai cent ans, nous avait également bluffés. Pour son troisième album, Beyries déploie sa poésie en français, racontant sans artifice ses doutes et ses élans, mais aussi toutes les beautés que nous ne savons plus voir, habitués aux filtres avantageux et au merveilleux de façade. Ballades sur le fil, slow tempo, arpèges folk et soufflants en apesanteur sur l’émouvant Momzie, elle décline ce quotidien qu’elle rend extraordinaire sans chercher à le magnifier. Oui, on saute parfois dans le vide en traversant un trottoir.
Youri
JOHNNY MONTREUIL
Zanzibar
(Les Facéties de LuluSam)
Une tronche qui éclabousse, un blaze toujours aussi évocateur : Johnny Montreuil est bien de retour pour son troisième album, Zanzibar. Un pays lointain de sa banlieue parisienne, dont il est depuis dix ans un farouche défenseur. S’il a des envies d’ailleurs et qu’il a fait sa réputation avec un son tout droit tiré du Far West et des contrées anglo-saxonnes (en témoignent les adaptations de The Clash et de Hank Williams), Johnny n’en garde pas moins une gouaille railleuse, assaisonnée à l’argot du titi parisien. Avec ses acolytes, il continue d’explorer les styles musicaux, alternant les tempos et les climats, offrant de jolis voyages (Vers les Îles en duo avec Rosemary Standley) et des histoires rythmées par l’harmonica et les guitares, où l’enfermement, la liberté et l’amour se taillent la part du lion. Le tout magnifié par le travail de Jean Lamoot à la réalisation.
Benjamin Valentie
NOÉ PRESZOW
[prèchof]
(tôt Ou tard)
Sur la pochette, on découvre un homme courant sur une route de campagne déserte. On imagine une fuite loin de la furie des hommes. Mais cette pochette est un leurre, car ce n’est pas de fuite qu’il est question tout au long de cet album, mais de résistance. Tel un Stéphane Hessel pop, Noé Preszow s’indigne, s’insurge. Ici, face à la banalisation de la montée de l’extrême droite (Juste devant glaçant de justesse), là devant la démentielle saturation des réseaux sociaux (Prière de ne pas déranger). Si le Bruxellois se distingue dans ces exercices de dénonciation à la manière d’un certain Damien Saez, il excelle également à incarner son époque et sa génération (Nos années 20), sans oublier de céder à l’exercice de la pop song tendre avec l’imparable Charlotte. Loin de l’exercice de style appliqué, cet album nous emporte par son lyrisme et la formidable capacité d’interprétation de son auteur. Entre tendresse et coup de poing.
Alex Monville
JEHAN
Là où la joie se loge
(EPM Musique)
C’est une voix comme un canal, pour passer de la Garonne au Mississippi ; une voie menant à une manière de poésie idéale, mariage de force et de sensibilité, mélange d’opéra vériste et de folk-blues. Des contes en vers, réalistes. Le répertoire de Jehan est un trésor en lui-même, qu’il sait sublimer par ses compositions et arrangements. Rappelons que son incarnation offerte aux mots de Bernard Dimey fait figure d’absolu. Sur ce nouvel album, on retrouve des textes de chanteurs-auteurs précieux comme Anne Sylvestre, Michèle Bernard, Caussimon, Nougaro, Ferland ou Allain Leprest, dont on garde au coeur les oeuvres de leurs collaborations passées. On y trouve aussi des poètes : Baudelaire, Haraucourt, Almeida Garrett… La musique, délicieusement acoustique, à base de cordes frappées et pincées, éclaire l’évidence : que Jehan chante et c’est comme si tout émanait de lui. Alors tout est cohérent et vrai. Un bonheur de beauté.
Jean-Pierre Michy
MARION RAMPAL
Oizel
(Les Rivières Souterraines)
Elle déploie ses ailes pour planer au-dessus des mêlées actuelles, la lauréate d’une Victoire du Jazz 2022 (artiste vocale) pour son précédent album Tissé, qu’elle refermait sur un blues féministe, Still a bird. Sur Oizel, la compositrice et chanteuse poursuit son envol, entre migrations salutaires et recherche d’un nid protecteur. Épaulée de Matthis Pascaud (guitare, lap-steel, mandoline, claviers, marimba), Marion navigue entre chanson intimiste et jazz buissonnier, avec des touches blues et folk aériennes, des traits ragtime (Oizeau) ou bluegrass (La Grande Ourse, morceau inspiré par un texte de Florence Aubenas sur une femme vivant dans les bois cévenols, coupée du monde). La grâce et le groove. Il y a là de Beaux dimanches, chaloupés avec Bertrand Belin, des Canards résolument sauvages (duo avec Laura Cahen), des mélopées à fleur de peau et des notes libertaires. En volant, Marion s’enracine au monde.
Ben
EL GATO NEGRO
Tigre qui pleure
(X-Ray Production)
Véritable perle d’expression artistique, ce disque transcende les frontières et offre une expérience musicale unique. Les chansons de Tigre qui pleure sont habilement construites, mêlant des éléments de différents genres, tels que le folk sur Les tournesols, la musique traditionnelle d’Afrique de l’Ouest sur Mundo Cae, en featuring avec Assane Mboup, le reggae sur Sable noir et les touches d’afrobeat. Le mélange harmonieux de ces influences crée un son qui est à la fois captivant et émotionnellement puissant. Les mélodies sont accrocheuses, les harmonies ingénieusement conçues, offrant une expérience auditive riche et gratifiante. Les paroles abordent, avec légèreté, des thèmes universels tels que l’amour sur Coquillage et la quête de sens sur Mamie Wata, avec Pat Kalla en invité. En résumé, cet album, d’une beauté saisissante, témoigne du talent et de la sensibilité artistique d’El Gato Negro.
www.facebook.com/gatonegrotropical
Céline Dehédin
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