Les 8 indispensables du numéro 79


ANDONI ITURRIOZ

Le roi des ruines

(J’ai Vécu les Étoiles)

Andoni Iturrioz est un génie de la scène actuelle, un artiste complet qui ne néglige pas les musiques et les textes au profit de l’un ou de l’autre. Ici, sa voix grave et profonde est accompagnée par le gang de blues punk expérimental La Danse du Chien, mais également de Lisa Portelli, Samuel Cajal, et de Bertrand Louis à la direction musicale. Tout est réuni pour saisir et obséder : d’un Roi des ruines orageux, on passe à l’accalmie de l’insolent Dans la rocaille et ce refrain : « Dieu sait que Dieu c’est moi entre autres. » Une prophétie bienvenue dans cet album qui n’en manque pas, à l’instar de Révolution (par épiphanie collective), commençant par ces mots : « Se rendre à l’évidence / l’évidence a gagné / les médias se tairont / d’un silence partagé » ou du slam de La fabuleuse histoire de Judas Iscariote. Rappelant la rencontre Noir Désir-Akosh, Iturrioz redéfinit et incarne brillamment la liberté artistique.

https://andoniiturrioz.com

Stéphanie Berrebi


NICOLAS JULES

Les falaises

(Auto-produit)

Une musique envoûtante, une voix sensuelle, une écriture élégante, Nicolas Jules nous fait le plaisir de sortir un nouvel album, Les falaises. On y retrouve son univers sombre et désabusé que l’autodérision, omniprésente, vient attendrir. L’ambiance est rock, la guitare électrique, la voix rauque, la poésie noire. Disque à la fois très homogène et plein de diversité. Le crayon par exemple qui est moins sombre dans sa forme musicale ou Missiles et Briquet Bic qui sont plus légères dans l’interprétation vocale. Mais tout nous amène implacablement vers le dernier morceau, Ratures, à l’écriture puissante et au cynisme magistral, dans lequel Bukowski semble avoir trouvé un nouvel hôte où s’incarner sous la forme de Nicolas Jules. Cet artiste auto-produit, incontournable de la scène française, nous prouve encore une fois que créativité et indépendance font décidément bon ménage.

www.nicolasjules.com

Julie de Benoist


DJEN KA

Ils se mélangent

(Auto-produit)

Le chanteur et violoncelliste rennais Djen Ka nous propose son premier opus, composé de six titres. Si son nom d’artiste fait référence à la culture égyptienne (Djen étant une divinité et Ka la partie de l’âme humaine), il s’agit bien ici de chanson française, agrémentée de pop et d’électro. Dans une ambiance moderne et urbaine, il superpose les voix et les chœurs sur des nappes et des beats électro-acoustiques avec, comme liant, son violoncelle et son tempo vocal. Pas d’effusions instrumentales pour ces ballades mystiques qui nous emmènent dans l’univers doux et organique de cet artiste singulier. La poésie des mots de Djen Ka, entre chant et spoken word, faite de métaphores et d’images, nous touche par son universalité. Nous avons affaire là à un poète guerrier, à une vision du monde sensible et lyrique. Ils se mélangent est un coup d’essai réussi séduisant et intriguant par son intensité et son originalité.

www.facebook.com/djenka.muzik

Greg Couvert


JEHAN

Le disque en vers

(EPM)

JeHaN, le chanteur trouvère du Sud-Ouest, interprète de la première heure de Bernard Dimey et Loïc Lantoine sort aujourd’hui un nouvel album Le disque en vers. Vers, comme une ligne de poésie… mais on vous laisse imaginer tous les jeux de mots possibles. Ces douze textes, qui célèbrent plus de trente ans de chansons, fleurent une époque pas révolue où la chanson était en haut de l’affiche. Elles sont, créations originales ou reprises, empruntées à Anne Sylvestre (Cap au Nord), à Allain Leprest (Garde-moi la mer) et aux Frères Jacques (La branche), mais aussi à Patrick Piquet ou à sa fille, Zelda, et parlent d’espoir, de partage et de temps qui file. Étonnamment, le son est rock, mettant en avant les guitares et sa voix reconnaissable entre mille. Le projet qui n’a pas vocation à être défendu sur scène, est né de sa rencontre avec le guitariste Christophe Aubert, de l’envie de faire de la musique juste entre amis. Une envie très louable.

www.epmmusique.fr

Audrey Lavallade


RACHID TAHA

Je suis Africain

(Naïve)

Cet album posthume de l’Oranais, intitulé Je suis Africain, voit le jour un an après sa disparition. Rachid Taha et Toma Feterman (La Caravane Passe) ont composé les dix titres de ce disque. Rachid Taha y chante en arabe, français, franglish, et même en espagnol avec Flèche Love pour Wahdi. On y retrouve les riffs de guitare de ce king du rock-chaâbi, la mandole d’Hakim Hamadouche et la folle poésie de ses textes. Andy Walhoo, chanson arabo-punk-électro avec guitares, balafon et guimbarde, cite pêle-mêle Johnny Cash, Oum Kalthoum, Andy Warhol. Sur des paroles françarabes amusantes de Jean Fauque et R-wan et une ambiance balloche, Minouche, séduit. Le titre phare, Je suis Africain, enregistré à Bamako, est un hymne aux sonorités du continent originel avec guitares soukouss tricotées, orchestre arabo-andalou, violons moyen-orientaux, balafon et tambours d’aisselle. Tout Taha est là et son album est fantasmagorique.

www.facebook.com/RachidTahaofficiel

Sam Olivier


ALI DANEL

Sur mon île

(La Souterraine / Pschent)

Havrais aux allures de cow-boy, Ali Danel est pour le moins déroutant. Impression confirmée à l’écoute de l’album. Voix grave, posée et faussement naïve, qui nous emmène dans un univers métissé et une esthétique colorée. On navigue entre l’Amérique du sud et sa bossa, les Antilles et leur musique caribéenne. Aventure périlleuse et force est de constater que le risque lui va bien. Il en résulte une élégance musicale portée par des lignes mélodiques soignées. Le propos n’est pas en reste, on aborde les sujets de notre époque, à commencer par l’écologie mise souvent en exergue comme une toile de fond. Il dresse un constat glaçant, toujours décalé, accompagné d’un humour pinçant. Il suffit d’écouter le premier titre Sur mon île pour comprendre qu’on peut fredonner « écoute la dernière baleine crever » et chalouper en même temps. Ce contraste est une constante au fil de ces dix titres iodés, où l’amour, la sensualité et les corps s’entremêlent avec volupté.

www.alidanel.fr

Mathieu Gatellier


LES SOEURS BOULAY

La mort des étoiles

(Grosse Boîte)

Délicatesse et sensibilité sont les mots qui définissent dès la première écoute, La mort des étoiles, le dernier album des sœurs Boulay. Leurs voix cristallines, la musique minimaliste et les mélodies aériennes nous enveloppent dans un cocon de douceur réconfortante, mâtinée d’une indéfinissable tristesse. Soutenus tantôt par un piano mélancolique, tantôt par une guitare discrète et quelques nappes de violon, les textes des deux Québécoises sont pleins de grâce, de finesse et teintés de nostalgie. Cet opus parle d’un monde qui va mal (La mort des étoiles, La fatigue du nombre) et du combat des femmes (Au doigt, Il me voulait dans la maison). Mais c’est aussi un album plein de tendresse comme l’émouvante chanson Léonard sur la maternité, d’insouciance joyeuse dans Devant l’homme et le monde ou d’espoir dans Je rêve. Après trois ans de pause qui semblent avoir eu un effet ressourçant, Les sœurs Boulay font un retour réussi.

www.lessoeursboulay.com

Julie de Benoist


POMME

Les failles

(Polydor)

Avec une grâce certaine et quasi-distinctive, la jeune Claire Pommet poursuit l’exploration savante et passionnée de ses maux, à coup de refrains et mélodies inéluctablement tubesques et joliment orchestrés. À travers ce second album, c’est toute l’exigence et la précision de l’artiste qui semblent se révéler davantage, se réveiller peut-être, sans pour autant porter atteinte à une sensibilité tremblante presque omniprésente, capitaine à bord de son vaisseau charmant, poétique et faussement espiègle. Car si les harmonies caressent et séduisent, les sujets abordés (l’identité, le regard de l’autre, l’enfance ou tout simplement la vie) restent parfois graves et profondément inhérents aux tourments d’une jeune adulte aux préoccupations touchantes de sincérité, de vérités et de chagrins. Comme une thérapie miraculeuse, Pomme exploite ses failles, les fait chanter et les dresse en véritables forces toutes aussi ravissantes et romantiques que fatales et dévastatrices.

http://pommemusic.fr

Xavier Lelievre